Cinquième dialogue sur les données et les technologies pour le développement

RAPPORT

Le cinquième dialogue de l’initiative “Road to Bern via Genève” intitulé Le pouvoir des données pour le développement : Transfert de technologie pour le développement s’est tenu en ligne le 25 mars 2021. L’événement a été organisé par la Mission permanente de la Suisse auprès de l’ONU à Genève et la Geneva Internet Platform (GIP), et a été co-animé par l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL) et le Groupe de la Banque Mondiale (GBM).

DISCOURS D’OUVERTURE

Lors de l’introduction, l’Amb. Jean-Pierre Reymond (Responsable des partenariats d’innovation, Mission permanente de la Suisse à Genève) a ouvert le dialogue en mettant dans son contexte cette cinquième session. Les dialogues intersectoriels Road to Bern via Geneva ont été initiés dans le but de nous préparer au prochain World Data Forum (WDF) qui aura lieu en octobre 2021 à Berne. Les quatre premières sessions ont suivi le cycle de vie des données en quatre étapes : la collecte des données, la protection des données, le partage des données et l’utilisation des données. M. Reymond a souligné la pertinence du cinquième dialogue, qui s’aligne sur les recommandations du précédent WDF, en déclarant : ” La demande de données pour l’agenda 2030 nécessitera de nouvelles solutions urgentes qui tirent parti de la puissance des nouvelles sources de données et des technologies grâce à des partenariats entre les autorités nationales, les secteurs privés, la société civile, les universités et les institutions de recherche”.

Groupe 1 : Des données pour le développement – L’Atlas des ODD du Groupe de la Banque mondiale

La première table ronde était dirigée par le Groupe de la Banque mondiale (GBM), le premier co-organisateur, et modérée par Mme Maria Dimitriadou (Représentante spéciale auprès de l’ONU et de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), Banque mondiale). Conformément à la publication du GBM Atlas 2020 des objectifs de développement durable. l’accent a été mis sur les données en tant qu’outil puissant pour le développement, ce qui est devenu encore plus pertinent lors du COVID-19.

M. Umar Serajuddin (Directeur, Groupe des données sur le développement, Banque mondiale) a débuté par une présentation de l’Atlas. Il a expliqué que travailler avec les données et œuvrer à la réalisation des objectifs de développement durable (ODD) sont des processus de collaboration. C’est également la raison pour laquelle le GBM prend soin d’intégrer divers acteurs internes ainsi que des partenaires externes dans ses activités. L’objectif principal de l’Atlas est de communiquer d’une manière simple des connaissances complexes sur le développement international. Il est essentiel de partager les données avec le grand public et de communiquer sur les ODD d’une manière plus inclusive. Dans ce but, l’Atlas repousse les limites de la visualisation des données et de la narration en ce qui concerne les ODD, de manière à ce que tout le monde puisse les comprendre, aussi bien le grand public que les experts. La dernière version de l’Atlas inclut également des considérations relatives à l’impact de la crise COVID-19 sur les ODD.

Mme Divyanshi Wadhwa et Mme Florina Pirlea, deux collègues de M. Serajuddin qui travaillent sur le projet ont guidé le public à travers l’Atlas, en exposant les résultats finaux de leur travail et en expliquant quelques exemples concrets.

Prof. Karl Aberer (Professeur, Laboratoire des systèmes d’information distribués, EPFL) a parlé de l’approvisionnement en données. Il a insisté sur les défis de la qualité des données recueillies par des sources de données nouvelles et non conventionnelles. Ces méthodes alternatives de collecte de données, définies comme étant plutôt participatives, opportunistes et sociales, comprennent, par exemple, l’écoute des médias sociaux, le partage d’images et le crowd-sensing (technologie de détection des foules). Si elles sont généralement moins coûteuses à mettre en œuvre que les sources de données plus traditionnelles, leur fiabilité peut être plus incertaine. Par exemple, ces types de sources de données sont plus enclins aux comportements malveillants et aux échantillons biaisés. Par conséquent, bien qu’ils offrent de grandes possibilités, il faut être conscient des biais et des problèmes de fiabilité et éventuellement y remédier.

M. Aberer a également mis l’accent sur les médias sociaux en tant que source de données intéressante, car ils sont facilement accessibles et ont la capacité de fournir un large éventail d’informations. Parmi les exemples d’applications de ces données, nous pouvons citer le suivi des crises dans le cadre d’actions humanitaires, ainsi que celui de la santé dans le contexte de la pandémie de COVID-19. Après avoir expliqué deux exemples concrets, il a conclu en soulignant le compromis qu’apportent les données ouvertes et partagées : si leur possibilité dans le cadre du développement est grand, elles posent également de grands défis pour contrôler la crédibilité des informations recueillies et des résultats obtenus.

Mme Silvia Quarteroni (Principal Data Scientist, Industry Collaborations, Swiss Data Science Center (SDSC)) a apporté une perspective industrielle au dialogue. Selon elle, un objectif majeur serait d’accélérer l’adoption de la science des données dans différents domaines, y compris dans le monde universitaire et industriel. Grâce à des collaborations avec différents types d’entreprises, elle a identifié une exigence commune clé, à savoir l’accès aux bons types de données qui peuvent répondre aux bons types de questions. Les données doivent être d’une qualité suffisante et visualisées de manière appropriée. Mme Quarteroni a également souligné deux autres aspects pertinents de l’analyse. Premièrement, des efforts doivent être faits pour explorer les moyens de donner un sens aux données textuelles et non structurées qui peuvent fournir des indicateurs concernant, par exemple, le bien-être. Deuxièmement, une dimension importante est la création et le développement de plateformes capables de reproduire la science des données. La reproductibilité des données est un objectif essentiel que l’intelligence artificielle (IA) devrait avoir aujourd’hui.

M. Shekhar Shah (Directeur général, National Council of Applied Economic Research (NCAER), Inde) a souligné les énormes progrès et avancées qui ont été réalisés dans le domaine de la science et de la technologie des données au cours des dernières années. Selon lui, les données sont essentiellement un moyen de persuader les individus, en particulier les décideurs politiques. C’est également un moyen de parvenir à une plus grande responsabilisation et à une plus grande confiance. L’objectif actuel est d’exploiter les progrès réalisés et, à terme, d’utiliser les données pour convaincre ceux qui n’ont pas forcément le temps ou les compétences nécessaires pour les interpréter. Les données devraient être utilisées pour raconter des histoires qui permettraient aux gens de prendre les bonnes décisions, importantes pour des millions de vies. Tels sont les types de motivations et de missions primordiales qui sous-tendent la collecte et l’analyse des données.

Groupe 2 : Technologie pour le développement – EPFL Tech4Dev

Mme Hilda Liswani (Sustainability Engagement Manager, Tech4Dev, Vice-présidence de l’EPFL pour l’innovation) a introduit la deuxième partie du dialogue menée par Tech4Dev, le deuxième co-animateur, sur le thème du transfert de technologie. Après avoir donné un aperçu général de l’EPFL, Mme Liswani a mis dans le contexte le programme Tech4Dev. Dans le cadre de l’initiative plus large Initiative Tech4Impact, Tech4Dev vise à orienter les opportunités d’innovation et de recherche collaborative entre les chercheurs et les ONG afin de co-concevoir et co-implémenter des technologies et des innovations ciblées dans le Sud.

Mme Liswani a souligné la nécessité de telles initiatives en mentionnant les principaux défis du développement technologique. L’une des principales préoccupations est que la vitesse et l’ampleur des progrès sont entravées par les lacunes de l’infrastructure numérique ainsi que par les disparités en matière de compétences numériques. Elle a déclaré que des efforts devaient être déployés pour combler ces lacunes. Pour atteindre les ODD, il ne suffit pas d’adopter l’approche habituelle et de s’appuyer sur les solutions existantes. Se contenter de transmettre les technologies disponibles dans les pays développés aux pays en développement n’est pas une méthode appropriée et efficace, car ces transferts sont complexes et nécessitent des considérations spécifiques au contexte. Il est important de garder à l’esprit que si la technologie et l’innovation sont d’excellents outils pour le développement, les êtres humains restent les principaux acteurs de l’évolution du monde et, par conséquent, chaque groupe de parties prenantes a sa part de responsabilité dans la contribution au défi.

La technologie numérique et la connectivité font partie intégrante du fonctionnement de notre monde. Pour réussir, le développement doit donc réduire le fossé entre ceux qui peuvent accéder à ces outils et ceux qui ne le peuvent pas. Il est essentiel de donner aux individus les moyens de saisir les opportunités et d’adopter une approche axée sur les problèmes plutôt que sur la technologie.

Mme Beatrice Scarioni (responsable de Tech4Dev, vice-présidence de l’EPFL pour l’innovation) a parlé de la mission de Tech4Dev, à savoir apporter les technologies là où elles sont le plus nécessaires. Pionnière de l’approche basée sur les besoins, l’initiative réunit deux groupes différents mais complémentaires : Les chercheurs de l’EPFL et les ONG. Officiellement lancée en décembre 2019, Tech4Dev compte désormais huit projets collaboratifs qui travaillent à apporter l’innovation inclusive sur le terrain.

M. Grégoire Castella (EPFL Humanitarian Tech Hub, Essential Tech Center) ont présenté les activités de l’EPFL Essential Tech Center. La conviction qui motive ces efforts est que technologie et innovation doivent être conçues de manière à servir ceux qui en ont le plus besoin. Au point de rencontre entre les laboratoires et la société, l’Essential Tech Center intervient principalement dans trois domaines : le développement durable, les actions humanitaires et la promotion de la paix. La première étape du processus consiste à aider les organisations à définir et à explorer leurs besoins. Une fois définis, ces besoins sont mis en relation avec des experts. La coopération étant la valeur fondamentale du centre, les deux groupes se rencontrent ensuite pour commencent à concevoir ensemble des solutions. Faisant partie de l'”Essential Tech Center“, le Humanitarian Tech Hub adopte une approche similaire, mais s’adresse spécifiquement au secteur humanitaire.

Mme Ghada Kalifa (directeur régional de Microsoft Philanthropies pour le Moyen-Orient et l’Afrique) nous a éclairé sur la manière dont le secteur privé peut contribuer à réduire les écarts dans la distribution des technologies. De grandes opportunités existent, mais il est également de la responsabilité du secteur privé de s’assurer que les technologies profitent à tous les habitants de la planète, ainsi qu’à la planète elle-même. Un sujet important dans ce cadre est la compétence numérique, qui est devenue particulièrement évidente lors de la pandémie COVID-19. Même si les pays en développement ont accès aux technologies, le manque de connaissances adéquates rend cet accès le plus souvent inefficace. La compétence numérique peut être considérée comme comprenant au moins trois éléments. Premièrement, il s’agit de la compétence numérique fondamentale ou, en d’autres termes, de l’acquisition des connaissances appropriées pour pouvoir utiliser correctement les outils et les technologies numériques. Deuxièmement, il s’agit de créer des opportunités pour que les personnes talentueuses deviennent elles-mêmes des créateurs de technologies et des innovateurs. Enfin, il s’agit de donner aux demandeurs d’emploi la possibilité d’acquérir de nouvelles compétences et de (ré)intégrer le marché du travail. La collaboration des partenaires, des agences de développement, des ONG et des agences gouvernementales est cruciale dans cette entreprise, car elle permet de s’assurer que le travail fourni est pertinent et a un impact dans des contextes locaux spécifiques.

M. Edward Hsu (Conseiller principal, Technologies perturbatrices, Banque mondiale) a présenté le travail de la Banque mondiale en matière de transfert numérique. Une activité majeure consiste à travailler avec les pays et les gouvernements pour identifier et définir les éléments fondamentaux qui doivent être établis pour apporter le développement numérique et transférer avec succès les technologies vers ces pays. Le déficit de connectivité existant est une question centrale et peut être considéré comme comportant cinq dimensions : connectivité, compétences, esprit d’entreprise, plateformes et technologies financières. L’initiative “Économie numérique pour l’Afrique” évalue la situation d’un pays en fonction de sa position par rapport à ces cinq dimensions. Ce type d’évaluation est mené dans le monde entier, notamment en Afrique, en Asie du Sud et en Amérique latine. D’autres sujets sont également pris en compte, tels que l’infrastructure de données et la cybersécurité, afin d’aborder les risques auxquels ces pays peuvent être confrontés. En définitive, il s’agit de trouver des moyens d’aider directement les gouvernements à exploiter réellement les solutions technologiques.

Débat entre les deux groupes

Sur les meilleures pratiques en matière de transfert de technologie

De par son expérience avec l’Essential Tech Center, M. Castella a noté qu’il n’existe pas de cadre ou d’ensemble de pratiques qui conviennent à tous les cas. Au contraire, différentes voies sont généralement suivies, et des stratégies adéquates doivent être développées pour chaque solution. Parmi les exemples, citons la création de start-ups afin de mettre un produit à la disposition du marché, et le transfert direct de technologies aux organisations.

Sur les moyens d’inclure au mieux les communautés locales dans le processus

Selon M. Castella, le défi découle de deux considérations. D’une part, il peut être difficile de s’engager auprès des communautés locales et de préserver un espace pour l’innovation dans les contextes d’urgence et d’insécurité. D’autre part, l’innovation peut s’avérer difficile lorsque les organisations humanitaires choisissent de planifier à court terme plutôt qu’à long terme. Il existe cependant des processus mis en place pour résoudre ces problèmes et inclure davantage les communautés locales. Le partenariat avec les organisations est une aide importante pour faciliter ces efforts.

Sur la diffusion de la technologie et le transfert de propriété à ceux qui en ont le plus besoin

Mme Scarioni a déclaré que l’objectif était de faire sortir la technologie du laboratoire pour la mettre en pratique sur le terrain, afin de la tester et de l’adapter le plus rapidement possible. L’adoption d’une approche ascendante, fondée sur les besoins, est une priorité, étant donné que les technologies développées dans une partie du monde ne seront pas les plus appropriées pour les bénéficiaires dans d’autres contextes différents. Les ONG partenaires apportent une contribution essentielle à cette initiative, car elles fournissent des informations sur les défis qu’elles constatent sur le terrain. Ces problèmes sont ensuite partagés au sein de la communauté EPFL qui s’efforce d’apporter des solutions directes. Le suivi est également effectué à un stade précoce. Divers indicateurs clés de performance (ICP) et mesures d’impact nous permettent de suivre et d’évaluer l’impact obtenu tout au long des différentes phases.

Les outils utilisés par Tech4Dev pour faciliter l’inclusion.

Mme Scarioni estime que les partenaires du Sud sont des acteurs essentiels dans ce processus. Il s’agit notamment des ONG, des universités du Sud et d’autres entrepreneurs sociaux et entreprises à impact. L’utilisation d’outils en ligne, de collaboration et de brainstorming contribue également à faire tomber les frontières et à faciliter la collaboration. Parmi les éléments facilitateurs, citons les plateformes de suivi et d’établissement de rapports auxquelles les partenaires et les chercheurs du Sud peuvent ajouter leurs données, leurs contributions et leurs mesures de manière efficace tout au long du cycle de vie.

Sur les investissements dans les capacités locales

M. Hsu a placé la promotion des écosystèmes d’entrepreneurs locaux comme un élément d’importance centrale. La disponibilité des infrastructures fondamentales et la capacité d’y accéder sont essentielles, et constituent également un défi à relever. La concurrence entre les acteurs et au niveau mondial est fortement entravée par les grandes différences dans la disponibilité de ces ressources. Au-delà des infrastructures, les compétences sont également cruciales. Parmi les autres facteurs clés figurent les environnements favorables, la gouvernance des données dans certains pays, ainsi que les coûts relatifs aux paiements.

Sur ce qui peut être adopté par les États-nations lorsqu’ils travaillent avec des tiers

M. Hsu a déclaré que cela constituait un autre défi. Un grand travail dans le domaine de la technologie a été réalisé et se poursuit, mais il est difficile de trouver des modes d’approvisionnement innovants et des moyens pour les gouvernements d’étendre les solutions, notamment en raison de modes de pensée dépassés.

Le rôle du secteur privé dans le développement de la connectivité

Mme Kalifa a indiqué que l’expansion de la connectivité est véritablement un objectif à l’ordre du jour du secteur privé. Des efforts ont été déployés pour fournir aux populations mal desservies diverses technologies et innovations, telles que les énergies renouvelables et les connexions internet à large bande. Une caractéristique essentielle est de rendre ces solutions abordables. Les activités du secteur privé en faveur de cet objectif pourraient ne pas être suffisantes. Les secteurs privé et public (complétés par un soutien financier et réglementaire) doivent s’unir pour faire baisser le coût total de la connectivité. Il s’agit d’une tâche complexe qui nécessite que toutes les parties prenantes unissent leurs forces pour relever ce défi.

Remarques de clôture

M. Jovan Kurbalija (Directeur fondateur, DiploFoundation ; Directeur, Geneva Internet Platform (GIP)) a conclu ce cinquième dialogue intersectoriel. En plus de résumer la discussion, il a soulevé des points supplémentaires sur lesquels réfléchir. Alors que des outils d’IA très avancés et puissants ont été créés et continuent d’être développés à un rythme soutenu, il est au moins aussi important de réfléchir à leur essence, aux concepts qui les entourent et, finalement, de leur donner un sens et de les ancrer dans la réalité. Les philosophes, les penseurs critiques et les perspectives non techniques sur la technologie doivent être inclus dans le discours. Sans eux, la technologie n’est plus un outil au service de l’homme, mais s’approprie le rôle central. Il faut rester ouvert aux découvertes et aux surprises, dans le voyage passionnant qui nous attend.

Mme Aleksandra Bojanić

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